Dans la continuité de la table que je décline depuis 3 jours en digne Reine des Neiges, il y a ce petit voyage au pays de la Fée Verte que j’ai effectué en novembre en compagnie des charmantes Marie, Mythily et Marina. Parties sur la Route de l’Absinthe, nous avons atterri au Val-de-Travers en Suisse, dans un paysage de Noël, blanc et miraculeux après les événements que nous venions de traverser à Paris. Un peu coupables de profiter de tant de paix, dans une contrée à l’accueil chaleureux, nous y avons rencontré beaucoup de gentillesse et de chaleur.
Trois haltes nous attendaient: la rencontre de l’un des initiateurs de la Route de l’Absinthe, le malicieux Druide Absintheur Nicolas Giger (Président de l’Association Pays de l’Absinthe), la dégustation chez le convivial distillateur Pierre André Staufer de DistAb et enfin, pour clore de manière magistrale une journée hors du monde, la visite de la Maison de l’Absinthe et la réalisation de l’historique Soufflé Glacé à la Fée verte, qui valut à son créateur un brin provocateur une longue série de tracas judiciaires…
La route de l’Absinthe te mène de Noiraigue en Suisse jusqu’à Pontarlier en France, en suivant le pas de l’histoire. Car si l’Absinthe a bien poussé ses premiers cris au berceau Suisse de la mère Henriod, c’est son promoteur Henri Louis Pernod qui la développera en France où les droits de douane étaient plus favorables et la clientèle nombreuse.
L’absinthe tire son nom d’une plante homonyme connue depuis l’antiquité égyptienne pour ses vertus digestives, auxquelles sont adjointes une série de plantes aromatiques aux nombreuses vertus thérapeutiques. Les Romains en buvaient une macération dans le vin blanc additionné d’anis.
Mais c’est à Couvet, la ville où nous nous retrouvons au matin, que Madame Henriod en réalise la première distillation pour en faire un élixir contre les maux d’estomac sous forme d’extrait d’absinthe. Si la dame revêt différentes identités selon les historiens, la légende dit que sa recette fut transmise à un Major Dubiet qui engagea un jeune “peintre” du nom de Henri Louis Pernod pour la lancer sur un mode plus commercial. Ce qui est sûr, c’est que Couvet est le berceau incontesté de l’absinthe et que la première distillerie industrielle vit le jour en 1798. En 1802, Henri-Louis crée la sienne, germe du groupe d’alcools et spiritueux que l’on connait aujourd’hui sous le nom de Pernod-Ricard. Il passera la frontière en 1805 pour créer Pernod Fils à Pontarlier.
La boisson connu un succès phénoménal que l’on a peine à imaginer aujourd’hui. Promue par les peintres et les artistes, plébiscitée par les ouvriers et les femmes émancipées, l’heure verte devient un art de vivre qui fait de l’ombre aux brasseurs et aux marchands de vin. Quand elle est interdite en 1913, par ce que l’on pourrait appeler aujourd’hui du lobbying largement masqué de raisons sanitaires et sociales, l’absinthe s’écoule à plus de 10 millions de litres par jour!
Un médecin écrit qu’elle rend folle, alors que la fameuse molécule qui pourrait atteindre le cerveau, la thuyone, existe en si faible concentration qu’il faudrait boire 50 absinthe (1 litre 5) par jour pour se rendre cinglé. Un effroyable crime en Suisse, plus du à l’alcoolisme en général (l’absinthe peut titrer à 70°c), qu’à la thuyone, finit d’achever la réputation délétère de l’absinthe. La Fée Verte restera interdite jusqu’en 1998 (pour de nombreux pays dont la France) et 2005 pour la Suisse.
En Suisse la clandestinité s’organise: les distillateurs prennent le maquis et des noms de récalcitrants deviennent synonymes de résistance, comme Kübler (La Véritable Absinthe Kübler 53, La Verte Suisse) , Bugnon (La Clandestine, La Capricieuse) ou Pierre André Staufer (La 55°) que nous allons visiter à deux pas.
A l’arrière d’une pharmacie, se niche une petite pépite de cave, où Pierre André Stauffer organise des dégustations. A l’étage, il a collectionné un ancien comptoir de pharmacie et une impressionnante collection de bocaux. Au sous-sol, sous les voûtes d’une cave chaleureuse: l’Officine du Verre. Il y fait goûter l’absinthe qu’il distille, la 55°c, une recette tout en fraîcheur et longue en bouche.
Mon récit ne serait pas complet si je ne te racontais une anecdote qui coïncide avec l’étape finale de notre périple. A la Maison de l’Absinthe, à Môtiers, nous attend un atelier de cuisine pour confectionner le fameux Soufflé glacé à la Fée dit le soufflé Mitterrand. Cette recette fut servie par le chef Daniel Aimone au Palais DuPeyrou lors de la visite officielle du président français de la République, François Mitterrand, alors que l’absinthe est totalement prohibée et en France et en Suisse.
Cela fait bondir une tatillonne juge qui y voit également un moyen de faire décoller sa carrière: elle le traîne devant sa juridiction. Le pauvre chef qui ne mettait que du pastis mais entretenait l’ambiguïté pour ne pas décevoir surtout les journalistes, en fut pour ses frais et risqua un an de prison ferme. La juge quant à elle, vit sa carrière enterrée avant d’avoir décollée tant elle s’attira les foudres de l’opinion. Quant à François Mitterrand, peut lui chaut, lui qui ne fut jamais à un ortolan près!
Aujourd’hui la dégustation de l’Absinthe garde ses rituels : un verre évasé, un filet d’eau coulant d’une fontaine fraîche, mais rarement de sucre. La cuillère à absinthe est là pour le folklore où les amoureux des apéritifs sucrés. Elle se justifiait au temps où l’absinthe, plus dosé en “absinthe” (la plante) était particulièrement amère et également très alcoolisée. Réglementée à 35mg/litre de thuyone, l’absinthe d’aujourd’hui est moins amère qu’une Suze.
Elle est au contraire fraîche et désaltérante, enrichie d’herbes comme l’anis, indispensable si l’on veut que l’alcool se trouble sous l’eau (c’est en effet l’anithol qui fait réaction avec h2o), de lisope, de mélisse citronnée et de menthe poivrée (les 4 seules plantes avec la Grande Absinthe et la Petite Absinthe, à pousser naturellement sous le climat suisse).
Tchin!
Soufflé glacé à l’absinthe ou Soufflé Mitterrand
Ingrédients
- 150 g sucre
- 3 œuf (s)
- 25 cl crème fraîche liquide entière
- 1 dl Absinthe
- 1 sachet sucre vanillé
- cacao pour la déco
Instructions
- Monter la crème fraîche en chantilly en y incorporant le sucre vanillé vers la fin. Garder au frais.
- Au bain marie, battre oeufs et le sucre pour former un sabayon (il est cuit quand il est bien monté et que le fouet y imprime des stries). Incorporer l’absinthe.
- Incorporer une cuillère de chantilly dans le sabayon pour le refroidir puis délicatement le reste de chantilly.
- Entourer des ramequins hauts d'un papier sulfurisé ou de papier guitare maintenu par un élastique atour du ramequin. Remplir les ramequins et placer 4h minimum au congélateur.
- Saupoudrer de cacao amer et ôter le papier sulfurisé ou guitare juste avant de servir.
- A déguster avec une petite absinthe 😉
Splendide reportage, tu as parfaitement fait passer la magie de la Route de l’absinthe…