Descendre dans les caves, ou plutôt monter tant le village de Roquefort est escarpé d’escaliers et de terrasses, descendre dans les caves, disais-je, c’est faire un merveilleux voyage… La visite, la grande visite telle que tu peux la faire commence par une maquette animée qui explique l’effondrement de la Montagne de Combalou, effondrement qui a créé la concrétion de roche dans laquelle les caves ont été creusées. Les caves ont été créées aux 16 ème -17 ème siècles dans l’éboulis même. Il y a ensuite une série d’animations sur la légende du berger des Causses et l’histoire de la construction de ces caves. Mais le plus émouvant, bien sûr, c’est de pénétrer au centre du cœur de la magie : l’affinage…
C’est ce que j’aime par-dessus tout, dans la visite de ces lieux, qu’il s’agisse de fromage ou de vin, c’est que l’on a à faire à du vivant, à un travail mesuré de la nature, à une petite part de mystère qui, même si les hommes essaient de tout analyser et contrôler, finit par nous dépasser et nous surprendre toujours.
Pénétrer dans les caves c’est avoir à la fois un choc visuel et olfactif. Tu peux voir à peu près ce que j’ai ressenti par les photos, mais malheureusement je ne peux te transmettre l’odeur. C’est une sorte de fraîcheur laiteuse, avec une pointe d’herbe coupée, presque mentholée qui vient te chatouiller les narines. L’atmosphère est assez chargée d’humidité mais les fromages qui s’étendent devant nous ne sont pas encore affinés, ils n’ont du coup pas dégagé de chaleur due au travail des bactéries… Il fait 10°c. Et toujours cette étendue blanche qui caresse ton nez de sa douceur laiteuse… L’odeur va évoluer au fur-et-à-mesure que l’on se déplacera car dans les caves qui contiennent des fromages plus évolués, le bleu est apparu et dégage cette odeur plus forte et plus nerveuse du roquefort telle que tu la connais.
C’est Jackie Carles, Maître affineur depuis 30 ans qui nous guide dans un dédale d’escaliers et de coursives rocheuses… Cela plairait énormément aux fanas de gorges et autres excavations, comme visite. Si tu aimes le fromage et les frissons gothiques, va visiter les caves de Roquefort Société, tu seras comblé ! Jackie nous explique son rôle de la manière suivante : en fait, comme chaque fromage est unique, il aura son évolution propre. Il est également dans un environnement naturel qui est soumis comme l’extérieur, à des fluctuations d’humidité, de température et de circulation d’air. Son rôle est donc de surveiller et de noter les phénomènes qui surviennent en caves et d’agir selon. Ainsi le consommateur, lui, trouve toujours le même fromage dans son assiette. Il se base sur son expérience et l’expérience de ses prédécesseurs, bien sûr, mais également, depuis peu, sur des instruments de mesure qui, grâce à la compilation des données sur la température, la vitesse de l’air et l’hygrométrie, permettront de faire des prédictions plus fines et de prévenir les phénomènes différents en caves. Comme dit Jackie Carles : « La tradition ne vaut rien si on s’englue dans la tradition. » Jackie Carles prépare donc l’avenir sur le socle de la tradition.
Les fromages arrivent de la laiterie à 7 jours de fabrication. Ils ont été salés et piqués comme je te l’expliquais hier. On les pose alors sur champ en les espaçant pour favoriser l’évolution de l’air et l’élimination des gaz carboniques au fur et à mesure du développement du pénicillium. Ils sont placés de façon à ce que l’on voit bien le marquage : il y a la lettre de la fromagerie qui l’a fabriqué, la date de fabrication, la série de fabrication. On trace le fromage, comme je te le disais, tout au long de sa vie…
Le pénicillium travaille pendant 15 à 17 jours avant que l’on ralentisse son développement. Pour l’ensemencement, sur le champignon, on a prélevé les spores qui se trouvent sur les petits pinceaux… Là :
Il faut 4g de pénicillium pour ensemencer 3000l de lait, c’est-à-dire pour fabriquer 380 fromages. Les fromages évoluent pendant les deux semaines à nu. Ils profitent de plusieurs éléments, le sel, la roche, le bois et la circulation de l’air qui se fait par des fleurines. Le flanc de la montagne recèle en effet une série de petites failles, les fleurines (cela vient du mot occitan « Flarina », qui signifie « souffler »). Au travers de ces fleurines, le vent venant du sud souffle sur la roche qui est exposée au nord. Cela crée une dépression au sein de la cave ce qui permet, en jouant avec l’ouverture ou la fermeture des fleurines par de petits volets ou des portes en bois, de réguler l’hygrométrie, l’air chaud dû à la fermentation des fromages, et d’alimenter en oxygène les petites bactéries qui continuent à travailler dans le fromage.
Le bois dont est composé le sol des caves et les étagères sur lesquelles sont placés les fromages a aussi son importance. Il ne donne pas son goût au fromage, non, d’ailleurs, depuis 1980, pour ne plus tacher les fromages, il est recouvert d’une feuille en plastique, mais par contre, il régule l’hygrométrie et la température de la cave. Par contre, si tu remarques sur mes photos, entre les étages des étagères, il n’y pas vraiment de plancher. Le but est vraiment de favoriser la circulation de l’air.
Le pénicillium travaille toujours au bout des 15-17 jours, il faut donc ralentir son évolution : c’est le rôle des cabanières. Les cabanières sont les femmes qui enveloppent les fromages dans sur feuille d’étain car l’étain a cette propriété d’arrêter l’oxygène et donc de ralentir le développement du pénicillium sans étouffer le fromage. Pourquoi des femmes ? J’entends ton féminisme s’indigner… Parce que les roqueforts aiment la douceur et la précision. Certains homme s’y sont essayé, mais cela n’a pas marché.
Une fois le fromage emballé, il continue son évolution et il ne pourra pas prendre véritablement le nom de roquefort avant 3 mois. 90 jours encore donc, en chambre froide pour qu’il prenne du montant : sa saveur évolue et développe ce fruité que j’aime tant, les graisses contenues dans le lait se fondent dans la matière pour donner cette onctuosité incomparable. Si le roquefort est consommé tout de suite, il est placé dans une chambre froide à 2 degrés, mais s’il est destiné à être consommé loin dans l’année, il peut aller dans des chambres froides à -4°c !!!
Les caves quant à elles, sont lavées au sel et à l’eau. Le sel a des propriétés antiseptiques (un détergent serait catastrophique pour l’équilibre parfait de ces caves) et en plus durcit les bois. Les caves sont également mises en repos 7 jours : on ouvre alors les fleurines, pour faire baisser la température à nouveau à 10°c (elle était montée à 13°c avec la fermentation), puis on rentre à nouveau de jeunes fromages.
Si tu fais cette visite, tu auras bien entendu une dégustation à la fin. Tu pourras te frotter à la force du 1864, au fruité du Templiers et à la douceur fondante du Baragnaude… Tu visiteras également le musée, qui retrace l’histoire du Roquefort, de Pline à Diderot en passant par Charlemagne… Tu pourras aussi admirer les vieilles affiches de Société… Prends ton temps, la visite des caves dure 1h. Et si tout cela t’a affamé, tu te dirigeras vers le petit restaurant Société auquel le fromager MOF Xavier Thuret a transmis toutes ses idées d’associations et de recettes…