Faisons un peu de tourisme et un petit tour d’une journée en Pays Basque, au cœur de l’Ossau Iraty.
Je ne sais pas vous, mais quand j’achète de l’Ossau Iraty, je suis souvent déçue. Pourtant ce fromage bénéficie d’une AOC depuis 1980 et même d’une AOP depuis 1996! Vous me direz, c’est toujours le problème des certifications et de leur cahier des charges, tant qu’on ne sait pas vraiment ce qu’il y a dedans! Il y a une part du travail du producteur qui échappe à cet entendement-là. C’est ce que nous raconte l’Ossau Iraty quand je l’achète dans une grande surface. Il y a une part du cahier des charges qui n’a pas l’air d’atteindre mon palais. J’ai essayé de comprendre pourquoi.
Comme je le vous le disais lundi, un produit c’est des rencontres: gastrô-nô-miques et humaines, de terroirs et plus largement d’ambiance. Est-ce à dire que je préfère l’Ossau Iraty en Pays Basque? Là, là, là, quels esprits torves! Pourtant, je serais tentée de vous suivre sur ce coup-là 😉 C’est finalement en ramenant de notre voyage des échantillons de fromage que je me suis rendue compte, à le déguster à la maison, dans mon paysage à moi, qu’il était plutôt question de production, de mode de production même! plutôt que d’AOC.
Revenons à nos moutons, houps, pardon, à nos brebis.
Nous avons atterri à Bordeaux où nous attendaient affamées, Anne et Joëlle qui s’étaient levées tôt (comme nous) mais n’avaient pas bénéficié d’un second p’tit déj. dans l’avion. C’est donc entre deux bouchées de petits pains au raisins, qu’elles nous ont fait signe à Silvia, Dorian et moi. Nous étions chaperonnés ce jour-là par Delphine de l’agence Passerelles, qui nous a emmenés chez Michel Tambourin, fermier et producteur d’Ossau Iraty à St Etienne de Baïgorry. Et c’est là que j’ai commencé à comprendre mon goût pour l’Ossau-Iraty et ma déception pour mes achats en grande surface.
Nous avons eu l’immense plaisir de voir de petits agneaux. C’est extrêmement mignon, un agneau. Moi, cela me fait craquer totalement! Les brebis mettent bas en novembre et élèvent les agneaux pendant environ un mois. Les agneaux sont ensuite vendus. L’Ossau Iraty est une AOC assez exigeante sur certains points, notamment quant à la race des animaux. En fait, cette AOC est venue au secours des éleveurs dans les années 90. A l’époque, l’AOC créée par les producteurs de fromage de brebis, fixait dans un terroir et dans une démarche un fromage produit en Pays Basque et Béarn. Il y a encore des différences, d’ailleurs: le fromage béarnais fera plutôt 5kg et sera affiné en cave humide. Le basque est plus petit (3 kg environ) et sa cave d’affinage est plus sèche. Le nom, déjà, englobe les deux terroirs: Ossau (vallée béarnaise), Iraty (vallée basque). C’est au moment du dépôt de l’AOC qu’il a été imposé que l’AOC englobe tout le département. Ceci explique cela.
Dans les années 90, les éleveurs de brebis ont été confrontés (comme les producteurs de lait de vache aujourd’hui), à une crise de surproduction et donc, à une baisse des prix d’achat. Peu d’industriels à l’époque ramassaient le lait, et ils baissaient le prix de plus en plus. Pour survivre, les éleveurs se sont donc tournés vers cet AOC. C’est ce qui les a sauvé: en produisant du lait pour les fabricants de fromage Ossau-Iraty, et donc en obéissant au cahier des charges, ils garantissaient à leur exploitation une croissance égale au succès du fromage. Et ce succès se confirma: le fromage se vendit bien, les producteurs de lait virent leurs prix d’achat monter, et leur activité devenir pérenne.
Je vous raconte cette histoire, car elle explique en partie le paysage du Pays Basque dont je vous parlais. Les exploitations basques sont beaucoup plus petites que la moyenne françaises, pourtant elles survivent. De plus, le fait d’avoir cette multiplicité de petits producteurs (il y en a 1400 “estampillés” Ossau Iraty) déclenche un cercle vertueux: il maintient l’activité rurale, il ancre l’homme dans un territoire et économiquement, crée des emplois directement ou indirectement liés au fromage. Il préserve des désertifications que des bassins industriels ont provoqués ailleurs en regroupant les hommes autour d’usines et qu’ils ont aggravées en délocalisant une fois la crise économique venue.
Le paysage s’en ressent: pas d’industrie pour l’abîmer, les terres sont entretenues et comme les exploitations ne sont pas démesurées, est préservée également de ce que j’appellerais: l’esthétique du terroir.
Ce fameux cahier des charges a également sauvé les races caractéristiques de brebis et la façon de l’élever: la Manex à tête rousse et la Manex à tête noire (prononcez Manèche) pour le Pays basque et la Basco béarnaise pour le Béarn sont par exemple sorties tous les jours, et en été, transhument dans les pâturages d’estive. Ces races laitières ont bénéficié récemment d’un durcissement des exigences de l’AOC: en matière d’alimentation (refus des OGM), en saisonnalité de production (4 mois imposés pour la traite), en matière de biologie (il est interdit de toucher au génome de la race)… Les modalités de l’élevage se précisent encore et encore: en 2011, le hors sol sera totalement interdit, ainsi que l’ensilage de maïs pendant la traite en 2018… De quoi renforcer les caractéristiques artisanales de cette production.
Car c’est en voyant un élevage artisanal que l’on comprend ce qui différencie les fromages. Chaque fermier producteur a sa recette et opère à sa façon. Ce que ne peut bien entendu pas une laiterie, et encore moins un grand groupe industriel. Il faut savoir qu’il existe plusieurs appellation Ossau-Iraty bénéficiant de l’AOC. Tout d’abord, les fromages fermiers, produits à la ferme, de façon artisanale, avec la propre production de lait de brebis de la ferme. Ces brebis transhument l’été, et ce fromage fermier a aussi une sous-catégorie: le fromage d’estive. On reconnaît un fromage fermier à sa tête de brebis ornée d’un F en son centre “gravé” dans la croûte.
Il y a les fromages de laiterie, qui sont des coopératives très souvent. Ce fromage peut être artisanal (le lait n’est pas pasteurisé) ou non: le lait est pasteurisé. Les laits de différents producteurs sont mélangés et l’on obtient un produit de très bonne qualité mais au goût plus standardisé (il n’y a pas la patte du fermier!). La laiterie que l’on a visitée est celle d’AGOUR.
Enfin, il y a le grand groupe industriel, qui fabrique un fromage industriel mais selon le cahier des charges Ossau-Iraty. Ce grand groupe est Lactalys. On aura un fromage également pasteurisé, standardisé mais aussi peu affiné (le but étant de ne pas trop prolonger la production afin de réduire les coûts et donc le prix consommateur). C’est celui-ci qui me déçoit, bien qu’il ait une AOC et qu’il soit véritablement un Ossau-Iraty!Cette standardisation est bien entendu complètement inconnue des fromages de Michel Tambourin (et de son papa: Jean-François, créateur de la ferme ENAUTENEA (ce qui veut dire, la Maison d’Arno). Quand les brebis sont séparée de leur agneau, elles continuent à produire du lait si on les stimule par la traite. La traite se fait le matin et le soir. Elle peut être entretenue jusqu’en juillet mais en Ousso Iraty, le cahier des charges impose qu’on ne dépasse pas 300l par brebis. Un fois atteint, ce quotas, la brebis est tarie.
Les Tambourin mettent le lait en fabrication un jour sur deux en moyenne. Tous les jours au plus fort de la saison (en février). Le lait doit être emprésuré sous 48h: plus il est transformé tôt après la traite, plus le fromage développe ses qualités. Le lait est chauffé à 30°c avant l’ajout de la présure. Pourquoi cette température? En fait, c’est celle de la pie de la brebis et elle favorise la prise du lait. Le lait caille puis on le chauffe à 38° pendant le brassage.
On récolte et presse le caillé pour former les fromages qui doivent faire impérativement 18cm de diamètre minimum. Auparavant, on lui a apposé une sorte de “tampon” en forme de tête de brebis avec un F au centre pour désigner le fromage fermier. S’il est d’estive, il aura également une petite montagne avec une fleur au centre en marque sur sa croûte. Pour un fromage de 2,8kg, il faut 20 litres de lait. Or, 1 brebis donne 1l de lait par jour! Il faut donc beaucoup de brebis 😉
Au moment de presser le fromage, on lui avait apposé un petit tampon en plastique qui le désigne comme fromage fermier… Ce tampon est ôté avant le bain de saumure.
Le fromage, une fois bien égoutté passe en saumure (un bain d’eau et de sel). Il est égoutté et passe enfin à l’affinage pour 3 mois minimum. La chambre d’affinage est impressionnante à cause de son odeur: celle de l’ammoniaque! C’est l’odeur naturelle des bactéries en processus de maturation, mais pour un nez sensible, vous la gardez bien en narines pendant un petit moment 😀 On obtient un très bon fromage, ayant bien développé ses arômes en 6 mois (c’est celui que préfère Michel).
Vous l’avez deviné lundi, j’ai adoré le déjeuner: il faut dire que j’étais super bien placée au milieu de la table, entre Michel, Marie Aspiro de la fromagerie d’Agour, Jacky Mège, président de la commission d’examen organoleptique et Francis Poineau, berger en Soule.
Nous avons parlé de fromage mais aussi de gastronomie, de politique, d’émigration basque aux Etats-Unis, et de la Corse qui m’est chère (et du Brocciu!). Le déjeuner, pantagruélique, se déroulait dans une auberge typique: une fois passé la porte d’entrée au-dessus de laquelle un linteau en bois donne le nom de la maison, on découvre l’ezkaratz, pièce centrale de ces maisons en trois parties. C’était la pièce de travail, d’accueil, publique. Elle est grande et son plafond est plus haut que les autres pièces. Celle de notre auberge comprenait des objets artisanaux et distribuait à gauche l’accès à un café, à droite, la salle du restaurant.
L’après-midi, nous avons visité une fromagerie de coopérative: AGOUR. Franchement, elle ressemble à toutes les fromageries coopératives que je connais, à part que celle-ci a été pensée dans le respect de son environnement. Et c’est cela qui est intéressant. Toujours dans cette démarche de préservation, elle s’inscrit cependant aussi dans la modernité d’une production “industrielle”. La fromagerie Agour ne produit d’ailleurs pas uniquement de l’Ossau-Iraty. Elle produit d’autres fromages de brebis. Mais elle garde cet état d’esprit qu’il faut s’inscrire dans un terroir et une dimension humaine. La laiterie que nous visitons est d’ailleurs le second établissement de la fromagerie Agour: celui des estives. Elle a été placée au Nord pour ne pas créer trop de déperditions de froid lors de la réfrigération, elle récupère les eaux de pluie, a une station d’épuration pour le petit lait (extrêmement polluant), 60% de son énergie est créée par une chaudière à copeaux de bois et l’architecture générale du bâtiment a été élaborée pour se fondre au paysage… Mais surtout, cette fromagerie a été installée au plus près des éleveurs qui montent aux estives (transhumance de l’été) et donc se donne les moyens de récolter leur lait et de le transformer le plus rapidement possible pour obtenir un fromage de la meilleure qualité qui soit.
On ne pouvait pas terminer sans la dégustation: l’Ossau Iraty fermier est ce qu’il y a de plus remarquable. Un fromage au lait cru a plus de corps et de saveurs. Sa complexité se mêle à une douceur forte qui fait vraiment la richesse de ce fromage. A consommer en fins copeaux, que l’on pose sur la langue et laisser le fromage fondre en bouche. un régal. Pour le fromage de coopérative, avec un lait chauffé et cuit, la saveur sera plus douce mais le caractère bien trempé du lait de brebis s’exprime encore. Et c’est celui-là que je l’utilise sans complexe en cuisine. Il fond mieux et se prête bien au gratin. Par contre, je reste toujours très déçue par le fromage industriel.
Comme dirait l’autre, ce fut un beau voyage en Basse-Navarre (St Etienne de Baïgorry) et dans la Soule (l’établissement d’estive de la fromagerie d’Agour)..Je continue de voyager grâce aux derniers 100g d’Ossau-Iraty qui me restent. J’ai gardé le meilleur à mon goût pour la fin: le fermier d’estive.
Merci beaucoup pour ce beau reportage il m’a ramené aux paysages de mon enfance et adolescence.
Je te confirme que le fromage industriel est décevant, j’ai quitté ma région natale depuis 6 ans mais je ne manque jamais de me faire approvisionner en fromage fermier le seul qui devrait avoir l’AOC à mes yeux.
Si tu n’en as pas eu l’occasion, je t’invite à goûter du greuil à l’occasion d’un autre voyage en terres basques.
Merci encore pour ce pur moment de plaisir qui plus est très instructif.