De son ancienne vie professionnelle, quand tu rencontres Gilles Clayeux, seule l’écharpe t’en dira peut-être quelque chose… Je te laisse d’ailleurs chercher sur internet, tu auras vite la réponse et ce n’est pas le propos. Par contre, dès l’entrée de sa boutique sise derrière les invalides, tu sais déjà que c’est un homme épanoui. Cheese, qu’il a ouvert un an à peine, est le petit paradis d’un homme, et cela se sent. Et comme il sait bien le partager, j’ai passé hier matin une heure des plus agréables, avec la perspective de passer un excellent Noël. Je m’explique:
Comme tu le sais sûrement, à cause de mon travail, je goûte mes premières bûches en juillet, je fais des menus de Noël pour les photos depuis début novembre et je suis déjà sur la Saint Valentin ou même Pâques… Pour te dire que le 24 décembre au soir, je ne serai pas la plus enthousiaste devant la magie du foie gras, la beauté du chapon, la fraîcheur des huîtres ou la douceur de la bûche, bien au contraire.
Alors j’ai dit à Jeff: cette année, ce sera vin et fromage, basta!
Maintenant, il fallait que je trouve l’excellence. C’est Noël, quand même! Je me proposais déjà de me rabattre sur Marie Quatrehomme, quand m’est arrivé dans ma boîte mail un dossier de presse à propos des plateaux de fromages de Noël de Gilles Clayeux. Petite lumière dans ma tête, et voilà: je vais aller demander à ce monsieur de me concocter mon plateau idéal, et s’il est sympathique, cela fera une pierre deux coups.
Hier matin, me voici dans la place.
Gilles Clayeux a une histoire de gourmand et quand il a voulu changer de vie, il s’est tourné vers le fromage. La charcuterie lui semblait un peu trop technique apparemment, et puis sa grand-mère était passée par là dans son enfance avec de petites touches de chavignols et de Sancerre … Donc, Cheese.
Cependant, il ne voulait pas créer une énième crèmerie (la concurrence est rude sur la place de Paris), avec son offre pléthorique ou quasi exhaustive. Il n’avait pas l’intention non plus d’étendre un business en comptoirs ou corners multiples (jouer à la marchande, ce n’est pas son truc). Il voulait créer un lieu où il pouvait rassembler les histoires, les rencontres, les coups de coeur qu’il aurait fait au fur-et-à-mesure de ses recherches, et comme le monde du fromage est vaste, il s’est consacré au meilleur, le fromage fermier. Ce qui fait que, quand tu fais le tour de sa boutique, il te raconte autant la texture de la croûte, la saveur de pâte que la personnalité qu’il les a forgées. Ce sont bien entendu de petits producteurs, souvent, car fermier rime avec production du lait sur place. Et cela limite automatiquement le nombre de fromages qui en sort. D’ailleurs, ce sont souvent des producteurs qui sont en bio ou tout comme, qui ne se sentent pas forcément obligés ou flattés d’être vendus à Paris (que savent-ils, ces parisiens, du fromage qui sent l’étable, hein?!), et dont le produit devient à terme une petite oeuvre d’art.
Alors je suis Gilles dans ses explications, j’enjambe une roue de Beaufort qui expose ses 40 kilos à l’avenant, je hume toute la prairie d’un Saint-Nectaire soudain sorti de son papier film, je fond littéralement devant la merveilleuse couleur et les petites taches blanches de tyrosine d’un gouda vénérable!
Nous avons commencé par les chèvres, notamment par le crottin de chavignol de Romain Dubois. Cet héritier de 5 générations d’affineur lui offre de jolis bonbons bleutés, qu’il m’assure être autre chose que ce que j’ai goûté jusque-là. Puis il se saisit d’un chèvre de Madame Gevenois, un joli chèvre joliment ridé aux saveurs de noisettes, que je mets tout de suite sur mon plateau de Noël.
Il me désigne un magnifique cône de Nièvre de la Ferme Port Aubry. Puis le Tricorne de Paul Georgelet, trop frais encore pour mes envies, mais que je me promets de réserver à une autre occasion… Petite aparté: Paul Georgelet, je l’avais rencontré sur le Salon du Fromage qui au grand dam de Jeff est un salon professionnel. Monsieur Georgelet est un homme passionné et passionnant, et intarissable. J’avais passé un beau moment à boire ses paroles tout en goutant ses fromages!
Au milieu des chèvres, une petite rouelle cerclée me titille les yeux. C’est un Epicéa, venu d’une ferme du Cher: un brebis crémeux cerclé d’une écorce d’épicéa, comme le vacherin. La douceur du brebis est alors relevée et bousculée par ces arômes de bois. J’ai signé tout de suite…
Une époisses fermier de la Ferme des Marronni à Origny a une belle tête, mais c’est le Langres bien creusé qui annonce force, coulant et fraîcheur au centre qui me fait de l’œil. Il provient de la seule ferme qui fait encore du Langres fermier au lait cru: la Gaec des Baraques. Il a l’air extra celui-là.
Au-dessous de lui, trônent les bleus: Deux roqueforts: un roquefort Carles, généreux en crème, et un roquefort Vernières, à l’aspect plus sec et pour lequel j’opte. Un bleu de de Termignon, de la Gaec de la Vannoise, dont la particularité est que les mycéliums ne sont pas injectés mais se développent naturellement (car déjà présents dans l’herbe broutée et dans le lait) et craquellent la croûte. Enfin, le seul et dernier “stilton” au lait cru qui existe en Angleterre: le Stichelton Dairy de Joe Schneider (il n’a pas le droit de s’appeler stilton, l’appellation exigeant la chauffe des laits). Il est magnifique. Une pâte crémeuse, d’un jaune intense, un bleu profond, la promesse d’un beurré exceptionnel et une croûte incroyable qui ressemble à l’écorce des arbres… Pour lequel je craque totalement.
Il ne me fallait plus que le Cantal de deux ans (attention, il ne reste qu’un petit bout, après c’est fini!) pour finir de m’impressionner. Et encore, méfiante de ces cantals mal faits, vieillis pas honnêtement, aux saveurs rêches de lait tourné et à l’amertume écœurante. Le Cantal, pour moi, cela ne supporte pas l’à peu près, jusqu’à me convaincre parfois que je n’aime pas ça. Je demande timidement si je peux en goûter un petit bout. La pointe que je goûte, je l’ai en mémoire! elle me laisse présager d’une sacrée régalade à Noël: la pâte est douce, complexe: soudain, je me retrouve au milieu d’une étable, le foin à portée, l’odeur des vaches en hiver. J’adore. J’ai hâte. Plus qu’une semaine…
Un camembert de même veine, bio et fermier, de chez Francine Mercier (La ferme du Champs-Secret) me dit des douceurs auxquelles je ne résiste pas. Et je finis par les mimolettes, les goudas et les comtés… Je suis restée en arrêt devant un gouda à la couleur incroyable. Et celui-là aussi, je l’ai réclamé dans mon petit panier.
J’ai senti qu’il était temps que je parte. J’aurais acheté toute la boutique. D’ailleurs, petite note intérieure à moi-même et pas secrète: Ne JAMAIS amener Jeff ici, surtout!!!
Gilles m’a gentiment numéroté les fromages dans l’ordre de dégustation. Et les vins qui les accompagnent. Tu ne trouveras pas beaucoup de Bordeaux dans sa sélection: le Bordeaux et le fromage, cela va rarement ensemble… Les tanins même souples de ces grands vins s’accordent mal avec le lait. Par contre, des Bourgognes, sa terre natale, des vins de femme: il me conseille ainsi un prometteur Faugères blanc Ollier-Taillefer de Françoise Ollier (une des Vinifilles à suivre!) sur mes fromages les plus intenses, et pour les premiers plus doux, un Chardonnay de Jacques Prieur dont un des Meursaults a été une des plus grandes émotions de ma jeunesse…
J’aurais encore beaucoup à te dire de cette petite boutique, Cheese, mais le mieux est peut-être que tu y fasses un saut. J’ai aperçu sur le site qu’il se prépare une box… peut-être un bon moyen de découvrir ses coups de coeur au fil de l’année pour ceux qui le désirent ou ceux qui sont un peu loin du 15ème arrondissement de Paris?!
CHEESE
Gilles Clayeux
1 rue Desaix
75015 Paris
Horaires pendants les fêtes, suivre ce lien
tel: +33 1 47 83 81 26
PS: malgré les petits cadeaux que Gilles Clayeux m’a fait et dont je l’en remercie, je peux dire (pour avoir réclamé la note quand même), que les prix des fromages sont raisonnables au regard de la qualité. Je connais des fromages en supermarchés qui titrent au même tarif pour du plâtre, donc… cela ne doit pas te retenir.
CONSEILS DE CONSERVATION ET DÉGUSTATIONS PERSO:
1.évite d’acheter des fromages à pâte cuite en petits cubes déjà coupés et réguliers. D’abord généralement, ce ne sont pas de bons fromages (sauf les petits sachets que ton fromager te prépare à partir de ses propres produits) et en plus cela coûte plus cher que le fromage entier. tu peux bien prendre 30 secondes pour couper le fromage quand même?!
2. conserve le fromage dans son emballage d’origine jusqu’au jour de sa dégustation, et dans ton réfrigérateur. Par contre ne l’enferme surtout pas dans une boîte hermétique, c’est un produit vivant, il faut qu’il respire. Le papier du fromager est un bon compromis entre l’oxygénation de ces petites choses et la maîtrise du parfum dans ton réfrigérateur.
3. si tu veux déguster le fromage le soir, sors-le du froid le matin, et laisse-le reprendre ses aises tranquillement dans un coin de ta cuisine, éloigné des sources de chaleur. Une à deux heures avant, dresse ton plateau, que tu peux recouvrir d’une feuille de papier sulfurisée et d’un torchon, au cas où un moucheron passerait par là et au cas où tu n’as pas une cloche assez grande.
4. si le fromage est pour le midi, sors-le la veille au soir, avant de te coucher. Puis retourne à 2.
5. n’hésite pas à demander à ton fromager l’ordre de dégustation des fromages, du plus doux au plus fort, pour ne pas passer à côté des complexités et des subtilités des fromages les plus fins.
6. à part une énôôôôrme confiance en ton fromager, fuis les fromages truffés et d’autant plus à Noël -les truffes sont rarement mûres et franchement, l’huile de truffes – à l’arôme dit “naturel” donc complètement artificiel- c’est pas bon dans le fromage (ni ailleurs, d’ailleurs).
7. si ton fromager n’est pas un expert en vins, évite de passer chez un caviste qui te conseillerait un bordeaux rouge pour du fromage. Les tanins des Bordeaux rendent les fromages durs en bouche et les fromages tendent à rendre le Bordeaux amer. Tu détruis les deux d’un coup. Si tu veux absolument du rouge, va plutôt vers des vins gouleyants, souples et aromatiques. Deux choix: des vins de Bourgogne frais et souples sur des camemberts ou des bries, mais avec retenue. Ou alors des vins de soleil, charnus, épicés et gourmands sur des brebis . Sinon, du blanc. Et là, franchement, pour ne jamais me planter, j’applique la petite loi qui me guide souvent en cuisine, je marie les fromages d’une région avec les vins qui l’entourent…