Parenthèse enchantée : un déjeuner chez Taillevent

Taillevent restaurant
A l’image de cette très belle sculpture,
joie et bonheur dans l’accueil qui peut être fait à Taillevent…

J’avais gagné ce déjeuner lors d’un dîner (comme quoi, l’on peut jouer de tables en tables comme au jeu de l’oie), dîner pendant lequel j’ai rencontré pour la première fois entre autres, Laurent Gardinier. Gagner ce déjeuner fut une jolie émotion sur le moment, car je ne m’attendais pas qu’une main heureuse tire au sort mon nom, émotion qui se transforma la semaine dernière en une parenthèse enchantée.

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Jeff fêtait son anniversaire… ce fut donc également un très joli cadeau pour lui qui n’avait jamais été dans une maison de cette qualité et de ce prestige. Je crois pouvoir dire qu’il n’est jamais allé dans un restaurant étoilé non plus. D’ailleurs, petite anecdote, voulant lui faire la surprise, je ne lui avait pas dit comment s’habiller… il vint sans veste, donc… Ce qui fut vite réparé par le vestiaire, avec un œil pour la taille seyante qui relève de celui d’un tailleur !

Nous avons été accueillis par le sourire plein d’humour de Jean-Marie Anger, le Directeur : « Vous me faites confiance ? » Comment ne pourrions-nous pas ? Cet humour et la bonne humeur, cette décontraction discrète et accorte, c’est ce qui nous a accompagné tout au long de ce déjeuner. Taillevent est une maison où l’on se sent tout de suite détendu, et confortable –au sens anglais du terme. Et je peux affirmer : M. Anger y est pour beaucoup tant son caractère a établi depuis près de 40 ans un bonheur d’être là… à cette table.

Nous sommes assis côte-à-côte, à une table idéale : un coin qui donne sur la salle et d’où l’on peut observer le ballet du service, les autres tables et au fond, le premier salon. Cela faisait des années que je n’avais pas été assise côte à côte : très peu de maisons font encore cela pour les couples (les hommes, eux, sont face à face). Cette configuration a tout ce qu’il y a de plus intime. La conversation se chuchote à l’oreille, le spectacle est le même pour les deux partenaires, et l’on peut se tenir la main sans afficher sur la nappe cette intime douceur. Le dialogue avec la salle est idéale, surtout que Taillevent est une des rares maisons à faire un service à la russe (au guéridon) pour certaines pièces (poissons, volailles, crêpes Suzette).

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Le service au guéridon, la crêpe Suzette Taillevent, avec Cognac et Grand Marnier

Taillevent est le surnom du cuisinier le plus connu du Moyen-Âge : Guillaume Tirel. Ce chef Normand fut au service de la cour de France sous les Valois (Philippe VI, Charles VI) au XIVème siècle. Il est l’auteur présumé du premier manuscrit en langue française de cuisine : Le Viandier. Dans ce premier livre on découvre des recettes de sauces et la description des épices, ainsi que les termes culinaires que nous utilisons toujours.

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Une création Jean-Marie Anger et Christofle: le réchaud de guéridon

Nommer ainsi un restaurant, c’est s’inscrire dans la tradition, dans le classicisme mais aussi dans le renouveau de celui-ci. Taillevent opérait à un moment où la cuisine se codifie et se renouvelle… Et c’est ce à quoi nous avons assisté en dégustant les plats qui se sont succédés devant nous. Un classicisme renouvelé, sans esbroufe (tu sais comme cela m’agace !), sans maniérisme. Une cuisine fine et gourmande, une cuisine qui dit le passé comme le présent.

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Nous avons commencé par deux délicates langoustines croustillantes accompagnées d’une sauce aigre-douce. De la douceur, de la fermeté des langoustines, de l’acidité bien dosée pour relever le tout… et surtout cette petite sauce onctueuse au fond du plat :

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Arrive un foie gras aux cerises, amandes et verveine. Le foie gras est impeccable, la petite compote de cerise a ce qu’il faut de sucre et d’acidité (la verveine) pour ne pas cacher la finesse de celui-ci mais au contraire, l’équilibrer. Et oh, surprise, une amande fraîche remplace les noyaux des cerises confites qui l’accompagne. Pour faire le lien, un trait vert d’une délicate chapelure à la verveine.

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Nous avons ensuite dégusté la spécialité du chef, Alain Solivérès : un homard à l’épeautre et au safran. Sous la sauce onctueuse et safranée, aux accents minéraux, le jus du homard, doux et puissant à la fois… (Hmmm) qui contraste avec le velouté de la sauce, avec les saveurs maltées de l’épeautre. Mais franchement, ce qui bluffe, c’est le travail qui est fait sur l’épeautre. Formidable : tu as l’impression de déguster une graine fraîche, croquante, verte… Ce plat, c’est un bonheur. Je ne sais pas non plus si cela se voit assez sur la photo que j’ai prise, mais la texture du homard fut un miracle à elle toute seule. Quel beau produit ! Quel plat magnifique… Et si beau.

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Ensuite, un mignon de veau traité dans sa couleur classique : cuisson à basse température, une croûte dorée en finale pour croustiller un peu sous la dent, un jus court et une jolie poêlée des premières girolles de l’année. Un plat simple et une ligne droite, pure. Comme j’aime.

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Tu ne peux pas aller chez Taillevent sans t’offrir le spectacle du plateau de fromage. On zappe trop le fromage à mon goût. Un repas sans fromage… c’est… dommage. Le panier est si grand qu’il doit être porté à deux. Tu y découvres des petites pépites, aux côtés des grands.

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Un premier dessert nous rafraîchit de framboises et de verveine. Très peu sucré, doux au palais, c’est un entremet délicat et fruité. Une transparence de sucre sépare les fruits d’une délicate crème cuite à la verveine.

Puis le chocolat… deux feuilles délicates surmontées d’un sorbet puissant et long en bouche. Là aussi, de la légèreté tout en étant gourmand. Un dessert en fraîcheur… Bravo à Sylvain Pétrel, chef pâtissier.

Notre déjeuner fut accompagné par les vins de Stéphane Jan. Taillevent, c’est aussi une cave réputée. Tu peux aller voir les flacons –et en choisir sur de très bons conseils- à la Cave Taillevent, à quelques rues de là. Notre apéritif fut un champagne Taillevent de la maison Deutz. Avec le foie gras, nous avons réveillé nos papilles avec un Château de Fonsalette (Château Rayas) : un vin blanc floral et fruité, une attache pas trop vive… dans la fraîcheur et les agrumes maîtrisés (Marsanne, avec Clairette et Grenache).

Chateau Fonsalette

Pour le homard, je découvre le château Simone blanc. Une alliance parfaite: ce château rare des hauteurs de Marseille (il date de 1850) crée des vins blancs remarquables de garde. Le vin que je goûte a une attaque fraîche (clairette et grenache blanc) et florale (Ugni blanc) mais avec une petite note résineuse et de noix. Un petit quelque chose qui finit en pain grillé… Une belle longueur en bouche qui permet de ne pas se laisser faire par le homard mais qui en même temps accepte sa douceur.

Chateau Simone

Pour la viande, nous goûtons un Domaine Vaïsse, Les Allyphantes, aux notes cerise très prononcées et une pointe de réglisse qui ouvre le goût. Un vin encore très sur le fruit pour moi. Donc qui ne jouxte pas avec le veau. Mais un vin qui ne m’a pas bouleversé.

Vaïsse

Comme je garde mes vins tout au long du repas pour les redécouvrir et surtout les faire évoluer dans le verre, j’ai le plaisir de retrouver mon Château Simone avec le fromage. J’ai pris des fromages de caractère : le château Simone joue son rôle. Il est dans le pain grillé, il donne une fraîcheur d’équilibre. Parfait ! Le château de Fonsalette aurait été parfait avec de petits chèvres quant à lui.

Kracher

Enfin, M. Jan nous fait deux petits cadeaux…un découverte avec un Kracher Beerenauslese, un blanc liquoreux sur des notes de fruits exotiques qui malgré son puissant sucré reste assez frais. Puis une émotion, vraiment : un PX Gran Reserva de 1985. Mon dieu… soupir gastronome pour un puissant caramel, onctueux, tapissant, profond… Un véritable cadeau pour moi… qui se mariera parfaitement avec le chocolat.

PX grande réserve 1985

Nous avons fini par une conversation plaisante avec le couple qui fêtait ses 30 ans de mariage à deux tables de nous, avec également Jean-Marie Anger qui nous fit ce don inestimable d’une parenthèse enchantée, d’un moment inoubliable…

PX Gran Reserva 1985 Taillevent
Le PX Gran Reserva 1985…

RESTAURANT LE TAILLEVENT
15 rue Lamennais
75008 Paris

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